Renégociation de l’Accord de Cotonou UE/ACP

20/01/2010

Europe | Afrique-Caraïbes-Pacifique
Un rapport du Parlement européen rédigé par Eva Joly

Eva Joly est l’auteur d’une proposition portant sur la révision de l’accord de Cotonou, conclu entre l’Union européenne et les "pays ACP" (Afrique, Caraïbes, Pacifique).

Un débat a eu lieu à ce propos en séance de nuit, le 19 janvier 2010, au cours duquel la Députée européenne (Elue Europe Ecologie (Ile-de-France), membre du groupe Verts/ ALE) a fait l’intervention que vous trouvez ci-dessous.

Le Parlement européen s’est prononcé aujourd’hui, par un vote, sur cette proposition de texte (voir en bas de page le communiqué du Parlement).

Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire,

Chers collègues,

La révision de l’accord de Cotonou nous donne l’occasion de tirer les leçons des crises que nous affrontons : crise économique et financière, crise sociale ou alimentaire, changement climatique et défi énergétique, persistance de la pauvreté extrême… Le modèle économique dominant du « tout marché » et nos modes de vie ont non seulement montré leurs limites, mais provoqué ces crises multidimensionnelles sans précédent.

Nous devons donc revoir l’ensemble de nos politiques de manière radicale. La proposition de rapport qui vous est soumise aujourd’hui, adoptée à l’unanimité des membres de la Commission développement, me semble constituer une première étape vers cette nécessaire refondation.

Le premier impératif à respecter, c’est la cohérence. La politique commerciale, la pêche et l’agriculture de l’UE doivent être conçues de façon cohérente et de manière à assurer un développement soutenable, à combattre la pauvreté et à garantir un niveau de vie et des revenus décents à tous. J’ai le regret de vous dire que ce n’est pas le cas aujourd’hui.

En faisant du commerce une fin en soi et non un moyen au service de sa politique de développement, l’UE sacrifie les populations des pays en développement au profit de ses multinationales. Ainsi, les négociations sur les Accords de Partenariats Économiques sont à juste titre controversées par les gouvernements des ACP, les syndicats ou la société civile qui y voient une menace pour leurs économies.

La question de l’agriculture est l’une des plus problématiques, et reste dramatiquement négligée dans la coopération entre l’UE et les pays ACP. Alors que les zones rurales et ce secteur représentent plus de 60% de leur population et de leurs emplois, la part qui leur réservée dans les fonds européens à destination des pays ACP est presque inexistante.

Il faut que cela change. Comment pourrait-on éradiquer la pauvreté sans faire de la souveraineté alimentaire une priorité ?

L’agriculture doit être au cœur des politiques de développement de l’UE. Aider les pays en développement, en association avec les agriculteurs locaux, à assurer leur souveraineté alimentaire est tout simplement essentiel. D’autant que cette dernière, comme la légitimité démocratique de leurs gouvernements, est aujourd’hui menacée par un nouveau phénomène particulièrement inquiétant : l’acquisition des terres arables par des investisseurs étrangers suite à l’augmentation des prix des denrées alimentaires en 2007. La Chine, l’Arabie Saoudite ou encore le Qatar sont désormais propriétaires de milliers d’hectares dans des pays en développement...

L’UE et les pays ACP doivent s’emparer de cette question susceptible d’engendrer de violents conflits et des émeutes de la faim, notamment en élevant l’accès aux ressources naturelles, tels que la terre et l’eau, au rang de droit fondamental et inaliénable des populations locales.

Une autre question qui me tient à cœur est celle des paradis fiscaux. Leurs conséquences sont loin d’épargner les pays développés, mais sont bien pires encore pour les économies et les institutions politiques des pays en développement.

Les flux financiers illicites qu’ils permettent représenteraient ainsi jusqu’à 10 fois le montant de l’aide publique au développement. Stopper cette hémorragie est une question de cohérence et de crédibilité ! Une première étape pourrait être la signature d’un accord contraignant exigeant des multinationales qu’elles déclarent automatiquement leurs profits et les taxes payées dans chaque pays où elles opèrent, limitant ainsi les abus et les pertes subies par les pays en développement.

Enfin, je souhaite profiter de ce débat pour insister à nouveau sur le déficit démocratique de cette révision, pour laquelle nos parlements n’ont pas été consultés. Le rôle de l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-UE doit pourtant être renforcé.

Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire, Chers collègues,

j’espère que les négociateurs saisiront l’occasion qui leur est donnée d’apporter les corrections nécessaires à ce partenariat, afin d’en faire une réussite dont les premiers bénéficiaires sont les populations des pays ACP.

Eva Joly

Communiqué de presse du Parlement Européen

Révision de l’Accord Cotonou UE/ACP (Séance plénière)

Développement et coopération - 20-01-2010 - 14:06

L’accord de Cotonou, qui définit les relations politiques et commerciales entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, est en cours de renégociation. Un rapport du Parlement européen, rédigé par Eva Joly (Verts, France), présidente de la commission pour le développement, propose une série de mesures pour aider les pays ACP à lutter contre les effets de la crise financière et du changement climatique, à moderniser leurs systèmes agricoles et à combattre l’évasion fiscale.

"La politique de développement de l’UE, en matière de commerce, d’agriculture et de pêche, doit aider les pays ACP à combattre la pauvreté et garantir à leurs citoyens des revenus décents", a déclaré Mme Joly lors du débat en plénière.

Privilégier l’agriculture

Soulignant que 60% de la population des pays ACP vivent dans des zones rurales, le rapport insiste sur l’importance d’augmenter les investissements agricoles, afin de garantir aux exploitants un revenu décent et d’assurer qu’ils soient en mesure de fournir les marchés locaux en denrées alimentaires. Les infrastructures nécessaires pour faciliter le commerce des biens agricoles doivent aussi être financées, recommande le texte.

Sur la question de la saisie des terres arables, (l’expropriation de petites exploitations agricoles et l’utilisation non durable du sol et de l’eau), le rapport demande aux négociateurs du nouvel accord de donner aux populations un "droit de regard sur les terres arables et les autres ressources naturelles". "Ces saisies de terres engendrent la pauvreté extrême et des émeutes de la faim", a averti Mme Joly. "Il est urgent de reconnaître le droit inaliénable pour un peuple de contrôler ses ressources naturelles".

Evasion fiscale

Le Parlement européen demande à la Commission et aux pays ACP de faire de la lutte contre l’évasion fiscale une priorité du nouvel accord de Cotonou et de mettre en œuvre "un mécanisme contraignant obligeant les sociétés multinationales à déclarer automatiquement les profits qu’elles réalisent et les impôts qu’elles acquittent dans chacun des Etats ACP ou elles opèrent". Les revenus publics ainsi obtenus constitueraient une source de financement au développement et permettrait au long terme d’alléger la dépendance à l’aide étrangère.

Régionalisation des relations UE-ACP

Les APE (accords de partenariat économique), conclus bilatéralement entre l’UE et diverses régions ACP, ont créé des nouvelles institutions qui risquent de mener à une confusion dans les relations UE-ACP, estime Mme Joly : "Il est fort peu probable que la création d’une pléthore d’organes parlementaires spécialisés (...) contribue à démocratiser le contrôle. Cela risque plutôt de diviser et d’affaiblir la capacité des états ACP de participer efficacement à diverses réunions, faute de ressources financières et humaines", stipule son rapport.

Historique

L’accord de Cotonou entre l’Union européenne et 77 états d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) a été signé le 23 juin 2000 dans la capitale économique du Bénin, après l’expiration de la convention de Lomé. D’une validité de 20 ans, il a été révisé une première fois en juin 2005. La deuxième révision devra être conclue en février 2010. L’accord se base sur trois piliers : dialogue politique, relations commerciales et coopération au développement. Il a pour objectif principal la réduction de la pauvreté dans les pays ACP.

La résolution du PE a été adoptée à main levée.

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