Grèce : le mouvement social continue

31/01/2009

GRECE
"Plus rien ne sera comme avant"

Le meurtre d’Alexis, quinze ans, par un policier n’est pas la cause des violentes manifestations en Grèce, c’est le détonateur.

Cette vague de fond social a des causes profondes, des causes locales (corruption, népotisme, scandales financiers, violences policières...) et des causes globales (directives européennes, déclin des classes moyennes, crise du libéralisme...).

Le flambeau grec pourrait bien mettre le feu à toute l’Europe.

C’est la crainte du gouvernement français...

RAPPEL : Le 6 décembre, à 21 heures, un membre des forces spéciales de la police a arrêté son véhicule, visé un gamin de quinze ans et l’a abattu dans le quartier d’Exarchia, à Athènes. Ce meurtre n’est pas un cas exceptionnel ou isolé de violence policière. Le matin du même jour, des travailleurs immigrés qui faisaient la queue pour déposer une demande d’asile au poste de police situé sur l’avenue Petrou Ralli ont été attaqués par des flics anti-émeute. Suite à cette agression, un Pakistanais a été victime d’un grave traumatisme crânien et lutte depuis pour sa vie dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital Evangelismos. Ce ne sont là que deux cas pris parmi des dizaines d’autres similaires au cours des dernières années.

La balle qui a transpercé le cœur d’Alexis n’est pas une balle perdue tirée par un flic et qui aurait atteint le corps d’un adolescent « indocile ». Elle résulte d’un choix : celui de l’État qui, par la violence, veut imposer la soumission et l’ordre aux milieux et aux mouvements qui résistent à ses décisions. Un choix qui vise à menacer tous ceux qui veulent résister aux nouvelles dispositions prises par les patrons dans le domaine du travail, de la sécurité sociale, de la santé publique, de l’éducation, etc.

Ceux et celles qui travaillent doivent s’épuiser pour gagner une misérable paye mensuelle de 600 euros. Ils doivent bosser jusqu’à épuisement chaque fois que le patron a besoin d’eux, accepter d’effectuer des heures supplémentaires non rémunérées et d’être mis à pied chaque fois que les entreprises sont « en crise ». Et enfin, ils doivent se tuer au boulot chaque fois que l’intensification de la production l’exige, tout comme ces cinq dockers qui sont morts dans les chantiers de Perama, il y a cinq mois. Si ce sont des travailleurs immigrés, et qu’ils osent demander quelques euros de plus, ils seront tabassés et vivront sous un régime de terreur, tout comme les travailleurs et travailleuses agricoles employés dans les serres de fraises de Nea Manolada, dans l’ouest du Péloponnèse.

Ceux et celles qui étudient doivent passer leur temps dans des salles de classe minables et payer des cours particuliers pour se « préparer » de façon intensive aux examens annuels. Les enfants et les ados doivent oublier de jouer avec les autres dans la rue et de se sentir insouciants, afin de se gaver d’émissions de télé-réalité et de jeux électroniques, depuis que les espaces publics gratuits ont été transformés en galeries marchandes, ou parce que les enfants ne disposent plus d’assez de temps libre pour s’amuser.

Quant aux étudiants des universités, celles et ceux qui suivent ce processus naturel d’ « évolution » vers la réussite, ils découvrent que les prétendues « connaissances scientifiques » sont en fait orientées vers la satisfaction des besoins des patrons. Un étudiant doit continuellement s’adapter à de nouveaux cursus et récolter le plus grand nombre de « certificats » possible afin d’être finalement récompensé par l’attribution d’un diplôme qui ne vaut guère plus qu’un rouleau de papier-toilette, mais a encore moins d’utilité que celui-ci.

Un diplôme qui ne garantit rien de plus qu’un salaire mensuel de 700 euros, souvent sans droit aux assurances sociales ou à la couverture maladie. Tout cela se déroule alors que des millions d’euros atterrissent dans les poches d’entreprises religieuses et d’athlètes olympiques dopés et payés des sommes extravagantes pour « glorifier la patrie ». Un argent qui finit dans les poches des riches et des puissants. Des pots-de-vin sont versés aux « copains » et des journalistes corrompus se livrent à de sordides marchandages afin de couvrir des scandales impliquant le gouvernement. Alors que des dizaines de personnes périssent dans des incendies de forêts pour permettre au grand capital de transformer ces zones en sites touristiques et que des travailleurs crèvent dans les chantiers de construction et dans les rues et que leurs décès sont classés comme de simples « accidents du travail ». Alors que l’Etat distribue de l’argent aux banques pour les aider, qu’il nous enfonce dans un océan de dettes et de prêts et qu’il augmente la fiscalité directe pour tous les travailleurs. Alors que la stupidité des stars de télévision richissimes devient parole d’évangile pour un nombre croissant d’exploités.

La balle qui a transpercé le cœur d’Alexis a frappé le cœur de l’exploitation et de la répression pour une partie importante de cette société qui sait qu’elle n’a rien à perdre en dehors de l’illusion que les choses pourraient s’améliorer. Les événements qui ont suivi l’assassinat d’Alexis ont prouvé qu’une grande partie des exploités et des opprimés ont sombré dans ce marécage jusqu’au cou. Ce marais a débordé et menace de noyer les patrons et les politiciens, les partis et les institutions étatiques. Il est temps de nettoyer ce monde répugnant fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme et le pouvoir de quelques-uns sur la majorité. Nos cœurs débordent de confiance alors que les patrons tremblent de peur. La destruction des temples de la consommation, la réappropriation des biens, le « pillage » de toutes les choses qui nous sont dérobées alors qu’on nous bombarde de publicités correspondent à la prise de conscience que toute cette richesse est nôtre, parce que nous la produisons. « Nous », dans ce cas, désigne toutes les personnes qui travaillent. Cette richesse n’appartient pas aux propriétaires des magasins, ni aux banquiers, cette richesse est notre sueur et notre sang. C’est notre temps que les patrons nous volent tous les jours. Nous tombons malades quand nous prenons notre retraite. Nous nous disputons avec nos partenaires et nous n’avons même plus la force de rencontrer un couple d’amis, un soir de week-end. Nous sombrons dans la solitude et l’ennui chaque dimanche après-midi, et nous avons le sentiment d’étouffer tous les lundis matin. Exploités et opprimés, immigrants ou Grecs, travailleurs, chômeurs, étudiants ou lycéens, on nous somme aujourd’hui de prendre position face au faux dilemme posé par les médias et par l’Etat : sommes-nous du côté des porteurs de capuche ou du côté des propriétaires de boutiques ? Ce dilemme n’est qu’un leurre.

Parce que le véritable dilemme que les médias ne veulent pas vous exposer est le suivant : êtes-vous pour les patrons ou les travailleurs ? Pour l’État ou la révolte ? Et c’est une des raisons pour lesquelles les journalistes s’appliquent à diffamer le mouvement, à dénoncer les « porteurs de capuche », les « pillards », etc. Ils veulent semer la peur parmi les opprimés pour une raison simple : la révolte rend leur position - et celle de leurs patrons - très précaire. La révolte prend pour cible la réalité qu’ils créent, elle lutte contre le sentiment que « tout va bien », elle combat toute séparation entre une « révolte sentimentale et juste » et de prétendus « éléments extrémistes » et elle s’oppose finalement à toute distinction entre des « hors-la-loi » et des manifestants pacifiques.

Face à ce dilemme, nous avons une réponse : nous sommes du côté des « porteurs de capuche ». Nous sommes les « encapuchonnés ». Non pas parce que nous voulons cacher notre visage, mais parce que nous voulons nous rendre visibles. Nous existons. Nous ne portons pas des capuches par amour de la destruction, mais parce que nous sommes motivés par le désir de prendre notre vie en mains. Nous voulons construire une société différente sur la tombe des marchandises et des pouvoirs . Une société où tout le monde prendra des décisions collectives dans les assemblées générales des écoles, des universités, des lieux de travail et des quartiers, sur tout ce qui nous concerne, sans que nous ayons besoin de représentants politiques, de dirigeants ou comissaires politiques. Une société où tous ensemble nous guiderons notre destin. Une société où nos besoins et nos désirs dépendront seulement de nous, et non d’un député, d’un maire, d’un patron, d’un prêtre ou d’un flic.

Notre espoir d’une telle vie est né une nouvelle fois sur les barricades érigées partout en Grèce et dans la solidarité dont le mouvement a bénéficié à l’étranger. Il nous reste à faire de cet espoir une réalité. La possibilité d’une telle vie est maintenant mise à l’épreuve par les assemblées qui se tiennent dans les bâtiments municipaux, les sièges des syndicats et les bâtiments des universités occupés à Athènes et ailleurs en Grèce, assemblées où chacun peut exprimer librement ses opinions et discuter des formes d’action collective, sur la base de ses désirs et besoins. Le rêve de cette nouvelle vie a commencé à prendre forme.

Que nous reste-t-il à faire pour voir ce rêve réalisé ? Nous devons nous organiser là où nous étudions, travaillons ou habitons. Sur nos lieux de travail nous pouvons discuter de nos problèmes quotidiens et créer des noyaux de résistance contre la terreur des patrons. Dans nos écoles nous pouvons participer aux occupations et les soutenir, animer des groupes de contre-information, organiser des conférences et des ateliers de discussion, nous interroger sur la suprématie du savoir, produire de nouvelles connaissances pour satisfaire nos besoins et non ceux du Capital. Dans les quartiers et les immeubles, nous pouvons parler à nos voisins, organiser des rencontres et créer des comités, partager des connaissances et des compétences, décider collectivement d’actions. Nous pouvons participer à des marches et des manifestations, nous tenir les coudes, briser la peur que propage l’État, aider les lycéens qui sont aujourd’hui les premières victimes des attaques de l’État. Nous sommes solidaires de tous ceux qui ont été arrêtés durant la révolte, qu’ils soient grecs ou immigrés, qu’ils se trouvent en Grèce ou à l’étranger. La plupart sont maintenant poursuivis grâce à toutes les astuces juridiques qui font partie de l’arsenal de la lutte contre le terrorisme parce qu’ils s’opposent aux diktats de l’État.

Tout commence maintenant.

Tout est possible.

AUJOURD’HUI :

Tout d’abord, on a des nouveaux conflits au centre d’Athènes (Kypseli) à cause de
la décision de Kaklamanis (le maire d’Athènes) de couper 40-50 arbres pour
construire un parking.

Photos :

athens.indymedia.org

athens.indymedia.org

athens.indymedia.org

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Hier, les élèves ont manifesté contre la coupure des arbres et avec les habitants
ont planté des nouveaux arbres.

Ce matin, les CRS ont reculé, mais en laissant leur place aux fascistes ?

Pour l’instant, l’État favorise les replis communautaires et aggrave le contrôle
social et policier. Rien de nouveaux sur ce point ?

Les paysans sont, jusque là, dans la rue (toutes les grandes autoroutes sont encore bloquées). Ce matin le gouvernement a donné un délai de 48 heures aux paysans pour partir (si non Karamanlis va lancer ses CRS). Les syndicalistes veulent terminer les mobilisations, mais il y a des pressions pour la continuation de la lutte.

Bien évidemment, les paysans, après la défaite de 1996-97, éprouvent une vive
contrariété contre les partis, mais on ne peut pas dire, comment va évoluer la
mobilisation.

Il y a des tendances autonomes parmi eux (en Crete certains paysans arborent le
drapeau noir mais je ne sais pas si cela veut dire que ce sont des anarchistes),
mais je ne sais pas si c’est le cas dans la plupart des blocages (le parti
communiste, traditionnellement, joue un rôle dans quelques régions).

Les paysans qui se trouvent dans la rue sont, plutôt, des jeunes paysans, endettés
jusqu’au cou, qui n’ont pas d’autres ressources financières (il y en a d’autres qui
travaillent pendant l’été dans le tourisme).

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L’occupation du syndicat des travailleurs des médias ESIEA s ?est terminée il y a quelques jours, mais les
occupants ont transporté l’A.G. à l’occupation de la faculté de Media (EMME) et ils
ont crée des groupes pour couvrir des manifestations (reporters, cameramen, etc) et faire des interventions contre les licenciements. Par exemple, je ne sais pas si vous le connaissez, mais le photoreporter qui avait pris cette célèbre photo a été licencié le lendemain ?

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La commission grecque des émigrés a été occupée pendant 5 jours
pour exprimer sa solidarité et pour exiger que l’État donne l’asile aux immigrés.

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Avant-hier des médecins, des étudiants et des chômeurs ont occupé pendant 4 heures les caisses d’un hôpital (en Grèce si tu n’as pas d’assurance médicale tu es obliger de payer).

Les réactions des patients et du personnel étaient très encourageantes. La première banderole dit « Faut pas payer,
Faut pas payer »
(Dario Fo ? bien sûr ! ) et la deuxième « contre les lois de
l’état et du capital, santé pour nos besoins »

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Samedi prochain nouvelle manifestation pour Konstantina Kuneva.

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Enfin, il y a entre nous une discussion (à propos d’un livre, footprints in the
snow
, qu’un compagnon avait publié un jour avant l’assassinat d’Alexis ) sur les
tendances sociales qui pré-existaient au mouvement de Décembre.

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Il est trop tôt pour faire un bilan et nous devons être vigilants.

Mais,

rapidement, pour esquisser quelques points d’analyse, l’existence d’une tendance
dans le mouvement anarchiste-autonome qui essayait de dépasser les séparations
entre politique et social a contribué à la socialisation des pratiques et des idées
anarchistes.

Cette tendance a fait un travail organisationnel de base au niveau quotidien : sur les lieux de travail, dans les quartiers, etc.

De plus, la lutte étudiante de 2006-07 et les tendances autonomes dans le mouvement ouvrier (des syndicats et des associations ouvrières non-institutionnelles) ont joué un rôle important (occupation de GSEE).

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Mike Davis - Sur la révolte en Grèce

L’auteur du « Stade Dubaï du capitalisme » et de « City of Quartz » a répondu aux questions d’un journal grec sur les événements qui secouent le pays.

Contretemps propose une traduction de cette interview, que nous reproduisons ici : Un itinéraire politique, de Los Angeles à Athènes en passant par Seattle.

1.

Je pense que nos sociétés sont sursaturées de colère, une colère non-reconnue qui peut d’un seul coup se cristalliser autour d’un incident de bavure policière ou de répression étatique. Alors même qu’elle a abondamment semé les germes de la révolte, la société bourgeoise y reconnaît rarement ses propres fruits.

En 1992 à Los Angeles, tous les jeunes dans la rue (mais aussi tous les flics sur le terrain), savaient que l’apocalypse se préparait. Les lignes de faille grandissantes qui se creusaient entre la jeunesse urbaine et la municipalité auraient du sauter aux yeux de n’importe quel observateur, même le plus naïf : des arrestations de masse chaque semaine, un nombre effarant de gamins sans armes abattus par la police, la stigmatisation indifférenciée de la jeunesse de couleur comme un ramassis de « gangsters », une justice apparaissant de façon de plus en plus éhontée comme un système à double vitesse... Et pourtant, lorsque l’éruption se produisit suite au verdict qui exonérait la police d’avoir presque battu à mort Rodney King, les élites politiques et médiatiques réagirent comme si je ne sais quelle obscure force imprévisible avait surgi des entrailles de la terre. Les médias (depuis le point de vue surplombant de leurs hélicoptères) s’efforcèrent alors de modeler la perception que le monde aurait de l’émeute à grand renfort de simplifications réductrices et de stéréotypes convenus : c’étaient des « gangs noirs » qui incendiaient et pillaient dans les rues de la ville.

En réalité, le verdict du procès Rodney King était devenu un noyau autour duquel une série de récriminations très diverses avaient fait coalescence. Parmi les milliers de personnes arrêtées, il s’avéra que très peu étaient membres d’un gang, et que même un tiers seulement d’entre-elles étaient afro-américaines. La majorité était des immigrants pauvres ou leurs enfants, arrêtés pour avoir dévalisé des commerces de proximité pour y prendre des paquets de couches, des chaussures, ou des postes de télévision. L’économie de Los Angeles connaissait à l’époque (et aujourd’hui encore) une crise très profonde et les quartiers latino pauvres de l’ouest et du sud Downtown étaient durement touchés. Mais la presse ne s’était jamais fait l’écho de la misère de leurs existences et la dimension « émeute de la faim » de l’insurrection fut par conséquent très largement ignorée.

De façon similaire en Grèce aujourd’hui, une atrocité policière « normale » finit par déclencher une éruption que l’on cherche à décrire de façon stéréotypée comme une colère inexplicable et à mettre sur le dos de ténébreux anarchistes. En fait, depuis longtemps, c’est bien une « guerre civile de faible intensité » qui semble avoir caractérisé les relations entre la police et les diverses strates de la jeunesse.

2.

Je n’ai aucune compétence particulière pour commenter la spécificité de la situation grecque, mais j’ai l’impression qu’elle présente d’importants contrastes avec les événements de 2005 en France. Si la ségrégation spatiale de la jeunesse pauvre et immigrée semble moins extrême qu’en région parisienne, les perspectives d’emploi pour les enfants de la petite bourgeoisie sont bien pires : le croisement de ces deux facteurs met dans les rues d’Athènes une coalition plus diverse d’étudiants et de jeunes adultes sans emploi. Par ailleurs, ils héritent d’une tradition continue de protestation et d’une culture de résistance unique en Europe.

3.

Que veut la jeunesse grecque ? Il est sûr qu’elle perçoit avec une clarté très crue la façon dont la récession mondiale se surimpose aux traditionnelles réformes du système éducatif et du marché de l’emploi. Pourquoi, dans un tel contexte, placeraient-ils la moindre foi en un énième retour du PASOK et de son cortège de promesses non-tenues ?

Ce à quoi l’on assiste est une espèce originale de révolte, préfigurée par les émeutes de Los Angeles, Londres et Paris, mais qui se déploie à partir d’une compréhension plus profonde du fait que l’avenir a été de toute façon pillé d’avance. Et en effet, on peut se le demander : quelle génération dans l’histoire moderne (mis à part les fils de l’Europe de 1914) a-t-elle été à ce point entièrement trahie par ses patriarches ?

Cette question me tourmente parce que j’ai quatre enfants et que même le plus jeune d’entre eux comprend que leur avenir sera radicalement différent de mon passé. Ma génération, celle du « baby-boom » lègue à ses enfants une économie mondiale en ruines, des inégalités sociales extrêmes, qui atteignent des niveaux stupéfiants, des guerres brutales sur les marges impériales et un climat planétaire devenu incontrôlable.

4.

Athènes est largement vue comme la réponse à la question : « Y-a-t-il une vie après Seattle ? »

Souvenez-vous des manifestations contre l’OMC et de la « bataille de Seattle » en 1999 qui ouvrirent une nouvelle ère de protestation non-violente et d’activisme local. La popularité des forums sociaux mondiaux, les millions de manifestants contre l’invasion de l’Irak par Bush et le large soutien aux accords de Kyoto – tout cela véhiculait l’immense espoir qu’un « alter-monde » soit déjà en train de naître. Dans le même temps, la guerre n’a pas pris fin, les émissions de gaz à effet de serre ont monté en flèche et le mouvement des forums sociaux a dépéri.

C’est tout un cycle de protestations qui est arrivé à son terme le jour où la chaudière du capitalisme mondialisé a explosé à Wall Street, laissant dans son sillage à la fois des problèmes plus radicaux et de nouvelles opportunités pour la radicalité.

La révolte d’Athènes répond à une soif de colère : elle met fin à la récente sécheresse en la matière. Il est vrai que ceux qui l’animent semblent n’avoir qu’une faible tolérance pour les slogans d’espoir et les solutions optimistes. Ils se distinguent ainsi des revendications utopiques de 1968 ou de l’esprit rêveur et volontaire de 1999.

C’est bien-sûr cette absence de demande de réformes (et ainsi l’absence de toute prise permettant la gestion de la protestation) qui est l’élément le plus scandaleux - et pas les cocktails Molotov ou les vitrines brisées. Cela rappelle moins les mouvements étudiants des années 1960 que les révoltes intransigeantes de l’anarchisme des bas-fonds dans le Montmartre des années 1890 ou du « Barrio Chino » à Barcelone au début des années 1930.

Certains activistes américains y voient un simple renouvellement du style de protestation hérité de Seattle, qu’il faudrait dorénavant et provisoirement agrémenter d’une pincée de passion toute méditerranéenne. Cela rentre bien dans leur paradigme du « changement - Obama » qui consiste à comprendre le présent comme un remake des mouvements de réforme politique des années 1930 et 1960.

Mais d’autres jeunes gens que je connais rejettent complètement cette interprétation. Ils se pensent eux-mêmes (à l’instar des anarchistes « fin de siècle ») comme étant une « génération perdue » et voient dans les rues d’Athènes un bon système de mesure pour leur propre rage.

Il y a bien sûr le danger d’exagérer l’importance d’une éruption qui se déroule dans un contexte national donné, spécifique, mais le monde est devenu inflammable et Athènes est la première étincelle.

(Traduction : G. C. pour Contretemps

___

DÉCLARATION DE L’OCCUPATION DU SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DES MÉDIAS (ESIEA)

Le samedi 10 janvier, un groupe d’employés (actifs ou non), de travailleurs non payés et d’étudiants de l’industrie des médias ont occupé le quartier général de l’ESIEA (le syndicat des journalistes, phtoreporters et autres travailleurs des médias grecs)

Cette tentative, qui s’oppose fondamentalement au discours dominant, vise à mettre en évidence les conditions de travail moyen-âgeuses dans les mass médias, ainsi qu’à promouvoir la création d’une assemblée unique pour l’expression de TOUS ceux qui travaillent dans l’industrie des médias.

Les contrats de travail flexibles et précaires, l’emploi non payé ou sans couverture sociale, le temps partiel, les horaires épuisants, l’arbitraire des employeurs, et les dizaines de licenciements délimitent le contours de l’industrie des medias. Ce mouvement s’opère dans un contexte de transformation plus large du système autour de la restructuration néolibérale du travail.

De son côté, l’ESIEA non seulement ne s’oppose pas aux intérêts des employeurs, mais plus encore leur donne son consentement et reste silencieux devant leur abus de pouvoir. Fonctionnant comme un syndicat de métiers d’élite qui exclut des milliers de travailleurs de l’industrie des médias, l’ESIEA s’oppose fortement à la demande pressante pour un dépassement des divisions internes et de la fragmentation corporatiste, refusant le création d’un syndicat unique pour tous les travailleurs des médias.

Par ailleurs, cette occupation vise aussi à devenir un centre de contre-information et de lutte, lequel sera défini par les gens en lutte sans qu’ils soient nécessairement reliés à l’industrie des médias, comme cela a été affirmé clairement lors de la première assemblée ouverte. Nous avons décider de nous réunir, d’agir et de parler directement les uns avec les aux autres, pour toutes les choses que le Spectacle dominant a fragmenté, contre la propagande idéologique et systématiquement oppressive mise en avant par les patrons, par l’ESIEA et les procureurs des médias qui usent de la désinformation, de la distorsion et de la dissimulation selon les circonstances.

Les matraquages, les arrestations massives, les détentions, le terrorisme médiatique, les morts “accidentelles” aux frontières et l’enfer des centres de rétention, les tortures dans les commissariats de police, les “suicides” en prison, les “accidents” du travail, les attaques à l’acide par les mafias patronales, les licenciements et les « ricochets » [1] ne sont pas des « incidents isolés ». Après tout, « ici ce n’est pas Gaza », comme l’a dit Yannis Pretenderis, un journaliste vedette, sur une des principales chaînes de télé.

Certainement, ce n’est pas Gaza. Il n’en demeure pas moins que notre solidarité ne s’exprime pas par écran de télé interposé, mais dans les rues, dans nos occupations de bâtiments publics, dans nos conflits au côté des opprimés révoltés, dans lesquels nous nous reconnaissons. C’est une solidarité qui ignore les frontières, et qui s’est répandue après le meurtre d’Alexandros Gregoropoulos et après les évènements qui ont suivi, du Mexique en Grande Bretagne, de Corée en Turquie.

Nous n’oublions pas les 67 personnes détenus ni les 315 personnes arrêtées et tous les manifestants inculpés lors des insurrections. L’oppression de l’Etat se fait plus intense, comme on a pu encore le voir lors de la manifestation du 9 janvier dernier. Ce jour, la célébration de l’asile universitaire [2] a donné lieu à une évacuation violente d’un bloc d’appartement de la rue Esculape (Asklipiou), où les manifestants avaient trouvé refuge. L’attaque contre le caractère social du sanctuaire universitaire est une attaque contre la société en lutte elle-même. Elle est sa répression.

Répression et terrorisme encore que l’attaque par projection d’acide dans le visage, le 23 décembre dernier de l’activiste syndicaliste migrante Konstantina Kouneva. Konstantina est une employée du nettoyage de la société des chemins de fers électriques (ISAP), employée en CDD par une entreprise sous traitante. Depuis son attaque par la mafia patronale, elle est toujours à l’hôpital dans un état critique, mais sa lutte continue et nous la soutenons activement.

Comme nous soutenons activement toute lutte contre l’arbitraire patronal et les relations d’exploitations, qui sont le résultat des conditions de travail, qu’il s’agisse de travail flexible et précaire, de travail au noir, d’heures supplémentaires non payées ou au temps partiel imposé.

 31/01/2009

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