La fin des civilisations telles que nous les connaissons

3/06/2009

REPRISE D’ARTICLE
par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin

Doom, Doom, Doom, tel est le refrain sinistre dont de plus en plus de
scientifiques qui ne cherchent pourtant pas le sensationnel veulent
aujourd’hui nous rendre conscients. Que disent ces Docteurs Doom, comme
les désignent leurs adversaires ? Qu’il est désormais trop tard pour
compter sur la réduction de la production des gaz à effets de serre
pour éviter une hausse de 4° C minimum des températures moyennes d’ici
2050-2090.

La réduction des émissions, pour être efficace, devrait
être, tous facteurs confondus, de 75% par an vers 2015.

Or, malgré les mesures à grand peine entreprises aujourd’hui, la courbe restera
croissante d’environ 4% par an
. Malheureusement, une hausse de 4° des
températures détruirait les civilisations telles que nous les
connaissons.

Nul ne voit en l’état actuel des technologies comment les émissions, et
autres causes de réchauffement associées, pourraient être réduites, ni
dans la décennie ni plus tard. On se trouve en face, comme nous l’avons
souligné par ailleurs, de mécanismes anthropotechniques échappant à
tout contrôle par ce que l’on croit encore nommer la volonté humaine.

Chacun défend son petit intérêt et la maison, selon le mot plus que
jamais valable de Jacques Chirac, continuera à brûler. Nous devons pour
notre part saluer le magasine britannique NewScientist qui dans son
numéro du 28 février 2009, a enfin ouvert ce dossier terrifiant(1).

Pour les scientifiques, qui s’évertuent à nous alerter, James Hansen,
Paul Crutzen, Peter Cox, sans oublier James Lovelock(2), il est donc
temps de préparer deux types de solutions aussi hasardeuses les unes
que les autres. Les premières consisteront à envisager sérieusement les
méga-projets dits de géo-ingénierie visant à diminuer l’ensoleillement
de la Terre et accélérer les processus d’absorption des gaz à effet de
serre. Ces projets étaient considérés jusqu’ici comme des tentatives
émanant de divers lobbies politico-industriels pour ne pas réduire la
consommation de pétrole ou pour faire financer des programmes
technologiques plus faciles à vendre dorénavant que les grands
programmes d’armement des décennies précédentes. Les approches
jusqu’ici envisagées (et parfois testées à petite échelle),
n’apparaissaient pas convaincantes. Elles étaient grosses de risques
mal étudiés susceptibles d’être pires que le mal. Mais pour les plus
sérieux des Docteurs Doom concernés, si l’humanité se trouvait
confrontée à une destruction proche, elle pourrait sans doute
développer de tels programmes, sciences et technologies aidant, à des
coûts abordables. On enregistrerait certainement des retombées
négatives, mais celles-ci ne seraient pas pire que ce qui se passera si
rien n’est fait.

D’autres types de solutions devraient être conduites, y compris en
parallèle des premières car la géo-ingénierie ne serait certainement
pas efficace à 100%. Il s’agira de préparer dès maintenant la survie
des humains sur une Terre dont les régions habitables et productives
actuelles seront détruites par le réchauffement. Les problèmes à
résoudre seront immenses. Il faudra d’abord abandonner les zones les
plus peuplées et les plus fertiles, qui auront été soit inondées soit
désertifiées. On les évacuera au profit de zones encore inhospitalières
aujourd’hui, mais qui deviendraient vivables, aux pôles et dans les
régions de toundra qui s’étendent au nord des continents américain et
eurasiatique. Dire que ces régions seraient vivables est excessif.
Elles permettront tout juste la survie. Les milliards d’humains
concernés seront obligés de s’entasser dans des mégapoles verticales
destinées à libérer le maximum de terres cultivables et d’aires
industrielles consacrées à la production d’énergies renouvelables.
L’alimentation sera principalement végétale ou artificielle. La vie
sauvage sous ses formes actuelles disparaîtra totalement, sur terre et
dans les mers. Ne survivront que les parasites et bactéries.

L’avenir sera en fait si sombre, les plaisirs et joies attachés à la
vie d’aujourd’hui se seront tellement raréfiés que l’humanité
traverserait certainement des crises morales profondes, avec
augmentation des suicides et refus de la reproduction. Si à cela
s’ajoutent les guerres et affrontements, ainsi que des pandémies
inévitables, la population pourrait tomber, comme le pronostique James
Lovelock, à un petit milliard d’humains.

Mais cela serait suffisant
pour assurer la survie de l’espèce. Les spécialistes de la gestion des
grands systèmes collectifs mettent de toutes façons en garde. Les
solutions esquissées ici, évacuation et réimplantation, gestion
nécessairement autoritaires des ressources subsistantes, contrôle des
affrontements entre les mieux dotés et les autres, conflits ethniques
et religieux, nécessiteront des appareils d’administration publique et
de gouvernement mondial dont les organisations nationales et
internationales contemporaines se montrent incapables.

Les scientifiques, climatologues ou ingénieurs qui envisagent ces
solutions ne sont pas très nombreux. Apparemment, beaucoup préfèrent
faire ce qui a jusqu’ici toujours été fait : se fier à la survenue
d’événements ou de découvertes qui modifieraient le diagnostic. Ainsi
peut-on continuer à mener le train actuel, même si la survenue de
crises de plus en plus violentes, comme nous allons en vivre
prochainement, dément la pertinence d’un tel optimisme. Nous pensons
pour notre part qu’il est devenu désormais indispensable d’adopter les
versions les plus pessimistes des projections.

Certes, les grands
dégâts prévus par les prévisionnistes n’affecteront que les enfants ou
les petits enfants des adultes d’aujourd’hui. Pourquoi s’en inquiéter
déjà ?

Par ailleurs, nombre de personnes plus âgées dont certaines
détiennent les leviers de commande, se rassureront, si l’on peut dire,
en se disant qu’elles ne verront pas tout cela. Mais ce serait, pour
les uns comme pour les autres, se comporter avec un aveuglement et un
égoïsme bien contraire à l’esprit scientifique. Il nous semble qu’il
faut au contraire dès maintenant se préparer au pire, non seulement en
élaborant des modèles théoriques réalistes, mais aussi en réduisant
fortement des trains et modes de vie qui, quoi qu’il arrive, sont déjà
condamnés(3).

Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin

(automatesintelligents.com)

maj au 15/05/2009

___

A lire également :

• La méthode de conceptualisation relativisée (MCR) pour mieux analyser la grande crise climatique par Jean-Paul Baquiast.

Notes

(1)
http://www.newscientist.com/article/mg20126971.700-how-to-survive-the-co
ming-century.html

(2) James Lovelock The vanishing Face of Gaïa, Allen Lane 2009. Nous
présentons ce livre dans ce numéro (voir rubrique biblionet)

(3) Il ne s’agit pas seulement de réduire la consommation de
combustibles fossiles, mais celle de l’eau. Le dernier rapport du
Pacific Institute, organisme de recherche américain sur l’eau, met en
évidence les tensions politiques sur l’accès à l’eau potable, dont les
industriels devraient dès maintenant se préoccuper...
http://www.pacinst.org/press_center/press_releases/ceres_report_0209.htm

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