Le "voyage" en France de Fatoumata l’Africaine

Bruno - 25/01/2011
Image:Le "voyage" en France de Fatoumata l'Africaine

Une expérience française...
Témoignage de Laurent Chevallier

Le "voyage" en France de Fatoumata l’Africaine.

Je m’appelle Laurent Chevallier.

Je suis cinéaste et durant plus de vingt ans, j’ai réalisé plusieurs films en Guinée-Conakry (Djembefola, L’enfant Noir, Circus Baobab, Momo le doyen, ...). C’est dans ce pays, en 1999, que j’ai rencontré mon épouse Manty Chevallier-Camara qui vit depuis en France, à mes côtés, loin de sa famille.

Je m’appelle Laurent Chevallier. Je suis cinéaste et durant plus de vingt ans,
j’ai réalisé plusieurs films en Guinée-Conakry (Djembefola,
L’Enfant Noir, Circus Baobab, Momo le doyen, etc.).
C’est dans ce pays, en 1999, que j’ai rencontré mon épouse Manty
Chevallier-Camara qui depuis vit en France à mes côtés, loin de sa famille.
Nous avions prévu d’inviter sa grande sœur Fatoumata Camara à venir passer un
mois chez nous pour qu’elle soigne des problèmes chroniques de tension et
qu’elle puisse découvrir nos deux enfants, ses neveux.

Peine perdue, puisqu’après une semaine passée en zone d’attente à Roissy,
elle vient d’être réembarquée dans l’avion pour Conakry. Elle n’aura donc connu
de notre « beau pays » qu’un centre de rétention et deux tribunaux,
celui de Bobigny et celui de la cour d’appel de Paris, avec comme unique moyen
de transport des fourgonnettes de police…

Que lui reprochait-on ? De s’être présentée, à sa descente d’avion,
devant la police des frontières sans toutes les pièces nécessaires à son entrée
sur notre territoire. Certes son passeport était parfaitement valable, tout
comme son visa et son attestation d’hébergement. Mais voilà, il lui manquait le
papier d’assurance médicale, attestation qu’elle avait oubliée à Conakry. De
même, elle n’avait pas assez d’argent sur elle. Elle aurait du présenter la
somme de 870 euros (soit 29 euros fois 30 jours) et ce malgré une attestation
d’hébergement de sa famille qui assurait pourtant la prendre entièrement en
charge.

24 heures après les faits, sur les conseils de la Croix Rouge qui assiste
les « retenus », je me suis présenté le mardi 18 janvier à la ZAPI, la
zone d’attente de l’aéroport de Roissy, avec les éléments manquants :
somme requise et copie de l’attestation d’assurance, pour régler ce problème et
permettre à Fatoumata d’être relâchée. Mais l’officier de police, malgré mon
insistance, a refusé catégoriquement de me recevoir, l’affaire devant être
jugée.

Jeudi 20 janvier, Fatoumata a été amenée parmi des dizaines d’étrangers au
tribunal de Bobigny. On aurait pu peut-être trouver un juge assez compréhensif
mais nous sommes tombés ce jour-là sur une présidente, une dure parmi les durs,
surnommée en off « l’avocate de la préfecture »… Pas le temps d’étudier son
cas, pas le temps d’argumenter, « cas suivant ! » et ce, non stop, de
10 heures à 22 heures. Durant tout ce temps, les « retenus » n’ont
rien eu à manger, juste une petite bouteille d’eau…

Fatoumata, très impressionnée par un tel protocole et face à l’insistance
d’une présidente pressée d’en finir, s’exprimait difficilement en
français : « Vous venez faire quoi en France ? - Voir ma sœur,
son mari et ses enfants - C’est votre aînée ou votre jeune sœur ? - Ma
jeune sœur - Combien d’années vous séparent ? » Silence … « Vous ne
savez pas ? » Question maintes fois répétée… « Elle ne sait
pas ! ».

Fatoumata, après quatre jours de détention - passablement émue et très
fatiguée – multiples sautes de tension - ne savait plus précisément si c’est
six ans ou sept ans de différence entre elle et ma femme. Pour la présidente,
le doute était donc permis ! Fatoumata dit venir voir sa sœur mais est-ce
vraiment sa sœur ? D’ailleurs est-elle réellement guinéenne ? Puisque
pour cette dame de fer, le nom Camara serait uniquement un nom malien… Ignorant
(volontairement ?) qu’on trouve des Camara dans toute l’Afrique de l’Ouest et
même en France !

Conclusion de cette triste mise en scène : Fatoumata a été replacée au
centre de rétention, appelé joliment « zone d’attente » jusqu’au
prochain avion… Nous avons donc fait appel de cette décision inique. Mais le
samedi 22 janvier, devant la cour d’appel de Paris, une autre juge nous a
stipulé que notre appel était irrecevable : on ne peut faire appel que sur
la forme et non sur le fond… Et peu importe que sa famille soit présente au
tribunal car dixit ce juge : « Même si le Dalaï Lama voulait
accueillir Fatoumata, si elle n’est pas en règle, elle retourne chez elle… Moi,
je ne fais qu’appliquer la loi. »

La procédure ayant été respectée à la lettre, rétention, jugement, il n’y
avait donc plus aucune raison de ne pas réexpédier ma belle sœur Fatoumata dans
son Afrique natale. Dimanche 23 janvier, elle a donc été renvoyée à Conakry,
encadrée par une escorte de policiers telle une vulgaire délinquante. Les
autorités de mon « beau pays » la France préférant ainsi lui
« offrir » une semaine d’humiliation à toute forme d’écoute, à tout
geste d’humanité.

Les associations liées à ces problèmes d’entrée des étrangers ont calculé
qu’une semaine comme celle vécue par Fatoumata coûte à l’état français, à nos
impôts donc, environ 25 000 euros (centre de rétention, logement, nourriture,
policiers, véhicules, tribunaux , personnel judiciaire, 4 billets d’avion de
retour pour Fatoumata et son escorte policière, etc.). Plutôt que prendre cinq
minutes pour vérifier des papiers, plutôt que de laisser la parole à un témoin,
en l’occurrence mon épouse (elle a essayé, aussitôt le juge l’a fait taire) qui
aurait pu aisément prouver devant le tribunal que Fatoumata est bel et bien sa
sœur, on préfère une justice express (le mot est faible !) devenue une simple
chambre d’enregistrement d’une politique d’immigration de plus en plus
discrimina-toire. Ainsi, au fil des années, mon « beau pays » la
France a décidé, triste constat, de fermer le plus hermétiquement possible ses
frontières à tous les « bronzés » venus d’Afrique. Je parle des
Africains mais on pourrait certainement généraliser la question à tous les pays
pauvres.

Fatoumata n’a donc pas pu venir nous rendre visite en France même si elle y
possède des attaches familiales, même si c’est pour une durée d’un mois, ses
papiers et son billet d’avion l’attestent, même si ses pièces étaient
parfaitement en règle au moment du jugement, même si elle est une mère de
famille avec son mari et ses cinq enfants vivant au pays et, de fait, bien
décidée à retourner vivre chez elle.

Certes, l’entrée de Fatoumata, l’Africaine sur notre territoire n’est pas
encore interdite dans les nouveaux textes de loi mais, comme j’ai pu le
constater à nos dépends, elle l’est déjà dans les faits… Peut-on imaginer pire
encore au « pays des peaux blanches » ? (surnom de la France en
Guinée)

Laurent Chevallier


Image d’illustration : capture d’écran du film documentaire "Expérience africaine" réalisé par Laurent Chevallier.

Plus d’infos sur la filmographie de Laurent Chevallier : site-image.eu

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